En réfléchissant à la suite des chroniques autour de St-Valentin, le roman «Les chaînes du Léviathan» de Jonathan Brassard s’est imposé de lui-même. Comment parler des relations amoureuses ou amicales sans aborder ces «chaînes» que nous traînons, inconsciemment ou pas, dans notre bagage de vie. Ce qui nous amène donc à l’étape #3 : Choisir ses chaînes.
La lecture de cette œuvre entraîne un constat : il s’agit bien d’une décision. Le besoin d’appartenance, peu importe qu’il soit fort ou non, apporte son lot de responsabilités que l’auteur image merveilleusement. Très bien accueilli par le public, sa nomination comme finaliste du Grand Prix littéraire Archambault en fait foi, ce livre est à inscrire sur votre liste. Enseignant aux adultes, Jonathan Brassard a l’art de présenter ses pensées de façon imagée et ludique tout en restant accessible. Le Thème de la liberté au sens large rejoint tous les êtres humains de plusieurs façons. Par conséquent, la diversité des réflexions varie selon les expériences vécues du lecteur.
Aussi coloré qu’attachant, le personnage principal, Charles St-Laurent, nous entraîne dans ses délires qui, pris au second niveau, reflètent des pensées profondes doublées d’une analyse dont la sagacité risque de vous surprendre. Décrivant aisément son patelin natal, le Rimouskois d’origine n’a pas peur de dresser un tableau réalistement complet de la diversité locale. Personne n’étant parfait, les banlieusards et les Montréalais n’y échappent pas. Quelques perles de sagesse y sont même glissées, au grand plaisir de notre intellect.
« Quand plusieurs personnes adoptent la même attitude,
on a toujours l’impression qu’il y a une réelle motivation derrière l’idée.»
Tous passent sous le caléidoscope analytique de l’auteur. Le tout, agrémenté d’un humour rafraichissant. L’auteur dépeint alors le quotidien de Charles en nous faisant voyager à travers une gamme d’émotions flamboyante.
«Rien de tel que l’expérience pour comprendre le monde qui nous entoure. La démarche empirique surpasse aisément toutes ses consœurs. La preuve, c’est qu’en posant le pied sur la première marche de l’escalier, Charles a résolu instantanément l’équation : (bas-culottes + bois traité) + grande vélocité = x.
Il a compris que les collants, projetés à une certaine vitesse, annihilent la friction entre deux corps. Ils poursuivent donc leur course (peu importe la surface de contact) et peuvent entraîner avec eux des masses phénoménales, comme, par exemple, le corps d’un adolescent de cent cinquante livres. Résultat de l’opération : x = crisse de débarque.»
Jonathan Brassard manie d’ailleurs les mots comme un fin tisseur de l’imaginaire. Il passe avec aisance d’une scène érotique à souhait vers un passage tristement lourd pour l’âme. Naturellement, l’entêtement de Charles à maintenir le pari dans des circonstances accablantes peut paraître difficile à avaler. C’est alors que le lecteur se remet dans le contexte où un Léviathan de 26 mètres est enchaîné sur une plage à Rimouski. L’aspect fantastique de la narration facilite donc la mise en contexte qui paraît tellement «tirée par les cheveux». Après mûre réflexion, le lecteur comprendra la dichotomie nécessaire à la dissection sociologique. Exagérer les pôles facilite l’assimilation des idées. Néanmoins, la lectrice aura parfois de la difficulté à s’attacher aux personnages féminins. Entre la dépendante affective et la rebelle frondeuse, il peut être parfois difficile de trouver des points communs avec elles. La narration imagée à la limite poétique nous fait oublier cet aspect tout en mettant en lumière la magnifique sensibilité de Charles. La virilité du personnage n’est toutefois aucunement compromise.
« Un intense sentiment d’injustice s’installe dans le cœur de Maryse et fait de l’œil à son autre occupant, la honte. L’injustice s’amourache facilement de la honte, c’est bien connu. Une fois entraînés dans une relation, ils s’embrassent, s’enflamment et s’embrasent. Ils donnent ensuite naissance à un gentil rejeton : la haine.»
Bien que la vitesse narrative fasse des pauses occasionnelles, le récit laisse toute la place à l’intelligence du lecteur. Le vocabulaire à la portée de tous est agréablement pimenté de passages dont la prose fait rêver les intellectuels qui y posent les yeux.
Bref, chapeau aux Éditions Coups de tête pour ce roman original qui ne laisse personne indifférent. Nous avons tous des chaînes qui nous empêchent de grandir à l’occasion ou nous retiennent de tomber dans des abîmes sans fond. L’introspection en vaut la peine. En cette période où l’amour est au centre de notre attention, faisons-nous le plus beau des présents : choisissons les chaînes qui en valent la peine en brisant celles qui nous nuisent.
Résumé : En 1950, à Rimouski, un géant de 26 mètres émerge du fleuve. Les Rimouskois décident d’enchaîner le Léviathan dans un champ désert où le colosse devient rapidement le souffre-douleur de la ville. En 1996, cinq adolescents décident de faire un pari audacieux : le perdant devra porter des collants et une veste de jeans pour toute sa vie. C’est Charles qui perd et l’aventure cocasse prend vite des allures de cauchemar : le costume de Charles dérange. Le garçon se fait battre, il est humilié et ostracisé, mais il décide de continuer. Il s’obstine parce qu’il a donné sa parole et parce qu’il considère son calvaire comme une expiation. Submergé par les pressions sociales, le jeune homme s’exile à Montréal. Ses chaînes le suivront-elles?
Titre : Les chaînes du Léviathan
Auteur : Jonathan Brassard
Genre : Littérature québécoise
Éditeur : Coups de tête
Date de parution : Mars 2013
Note : 4 étoiles de la mort!
Audacieux et surprenant… je note !